Le choix de François : "Enfant de salaud" de Sorj Chalandon

Le choix de François : "Enfant de salaud" de Sorj Chalandon

Le coup de coeur de François : "Enfant de salaud" de Sorj Chalandon

De Beyrouth à Belfast ou Dublin, dans le département de la Mayenne ou dans les cités minières du Nord de la France, les lecteurs de Sorj Chalandon ont déjà beaucoup bourlingué, suivant les pas de ses personnages, obsédés par leur quête de dépaysement, de cause à défendre ou de défi à relever.
Avec «  Enfant de salaud  », l’auteur s’aventure sur un chemin encore plus accidenté : celui du retour sur le passé de son père sous l’occupation allemande.
Un passé qui n’a rien à voir avec la chevauchée fantastique évoquée par Sorj Chalandon dans « Profession du père », l’un de ses précédents romans. Trois affirmations lâchées par le grand-père du narrateur, alors âgé de dix ans, « Tu es un enfant de salaud », « Ton père était du mauvais côté pendant la guerre » et « je l’ai vu porter l’uniforme allemand à Lyon » suffisent pour anéantir la mythologie paternelle saturée de ses exploits guerriers. Mythologie bâtie au fil des ans à coups de récits fantastiques, d’épisodes épiques, de coups de théâtre, une scène sur laquelle évolue, tel un funambule, le père mythomane.
Une fois adulte, le narrateur se procure le dossier administratif de son père. Il y découvre que, loin du roman que lui a servi son père, celui-ci a été balloté d’un camp à l’autre au gré des événements et des opportunités. Il déserte les rangs de l’armée française pour se mettre au service du Reich, puis rejoint brièvement la Résistance française avant d’effectuer un crochet chez les Américains, un périple au cours duquel il réussit la performance de porter cinq uniformes différents.
Dans le même temps, le narrateur, devenu journaliste, est envoyé à Lyon pour couvrir le procès de Klaus Barbie qui s’ouvre en mai 1987. Il y voit l’occasion si longtemps attendue d’obtenir de son père des réponses aux questions qu’il n’a jamais osé lui poser. Comme une natte dont les deux mèches s‘entrecroisent, l’auteur entremêle le récit du procès avec ses découvertes personnelles sur le roman inventé par son père. Bouleversé par les auditions des témoins, de ceux qui ont survécu parlant au nom de ceux qui n’ont pas survécu aux tortures de Barbie, le journaliste guette la parole, le regard ou le geste, l’impossible déclic qui lui permettrait, dans cette enceinte dédiée à la manifestation de la vérité, d’entendre enfin celle-ci de la bouche de son père qui assiste aux débats, assis à quelques sièges du sien.
La réussite de ce roman tient pour beaucoup au fait que Sorj Chalandon a couvert le procès de Klaus Barbie pour le quotidien « Libération » pour lequel il travaillait à l’époque des faits. Il reproduit ici l’atmosphère qui y régnait, dépeint les acteurs, décrit les épisodes les plus marquants, nous renseigne sur le climat aux abords du palais de justice de la ville. Il choisit ce cadre pour instruire un double procès : d’une part, celui du tortionnaire nazi, et, de l’autre, celui des mensonges de son père.
Sans conteste, l’un des meilleurs livres de l’automne 2021.

Texte de François Pellerin