Émile Zola à Rome

Émile Zola à Rome

Le séjour d’Émile Zola à Rome en 1894

Émile Zola m’a sauvée ! Un verbe trop important ? Non ! Au contraire ! C’est grâce à Zola que j’ai passé mon examen de littérature italienne…il y a très longtemps…à La Sapienza de Rome. Ayant étudié, de la maternelle à l’Université, dans des établissements français, je connaissais très mal ou presque pas la littérature italienne. Mais ma chance a voulu que mon professeur choisisse une analyse de l’œuvre de Balzac et de Zola. J’étais sauvée ! J’ai toujours aimé cet écrivain : pour son regard lucide sur le monde ouvrier, pour sa rigueur scientifique, son honnêteté quant à la documentation, la fresque immense qu’il a tracée de la société française sous le Second Empire, son engagement et sa générosité lors de l’Affaire Dreyfus (dans le fameux article du 13 janvier 1898 adressé au Président de la République intitulé “J’Accuse”).
Ce que j’ignorais, toutefois, à l’époque, c’était que Zola avait écrit un roman intitulé “ Rome “, inséré dans le cycle “ Les trois Villes” (1893-1898) qui suivait le cycle des Rougon Macquart et qui comprenait aussi Londres et Paris.

Fidèle à sa méthode Zola décida d’aller à Rome pour étudier la ville et sa société sur place. Il partit, par conséquent, non pas en tant que touriste, archéologue ou historien, mais en tant qu’observateur et sociologue. Il nota toutes ses impressions sur quatre cents feuilles de papier qui furent rassemblées plus tard dans un journal, “Mes voyages – Rome “. Passionné de photographie (très ami de Nadar, pionnier de la photographie) l’écrivain ne cesse de photographier places et rues de Rome et ses images illustrent ses observations.
Il faut imaginer son arrivée, le 31 octobre 1894, à la gare Termini qui avait été inaugurée une vingtaine d’années auparavant. Le comte Luigi Primoli, descendant de Joseph Bonaparte, aristocrate et photographe connaissant bien le français, l’attendait sur le quai. Il nous laisse une photo de Zola et d’une imposante Alexandrine, son épouse, au pied du wagon dont ils viennent de descendre. Les époux sont accompagnés au Grand Hôtel, qui s’appelle aujourd’hui St Régis, à via Vittorio Orlando. C’était l’hôtel le plus luxueux et le plus moderne à l’époque, le seul qui eut l’électricité ; il avait été inauguré 10 mois auparavant.

Les impressions que Zola nous laisse de son arrivée ne sont pas très flatteuses. “Je suis arrivé ce matin à sept heures, après avoir traversé la campagne romaine à l’aube. Une grande désolation.”
Zola avait laissé Paris, ville à laquelle le baron Haussmann avait donné un visage nouveau, pour découvrir la toute jeune capitale d’Italie, au sein d’un état tout aussi jeune. En effet, l’Italie était née comme État en 1861 et Rome n’était devenue capitale qu’après la “Breccia di Porta Pia “en 1870.
A l’époque, c’est une ville de 400.000 habitants qui commence à changer. Piazza Venezia est encore une place fermée ; Saint Pierre et le Forum sont encore emprisonnés dans une multitude de vieilles maisons. Il n’existe qu’une seule grande rue, qu’on n’ose pas appeler avenue ou“viale” : il s’agit de via Nazionale qui doit sa création à Monseigneur François Xavier de Mérode, un ecclésiastique belge, qui a collaboré à la nouvelle urbanisation de Rome.

Le personnage principal du roman que Zola va écrire à savoir Pierre Froment, en quelque sorte son alter ego, accompagne son auteur à la découverte de la ville.
Zola ne s’intéresse ni aux ruines ni à l’archéologie ; il note dans son journal, le 2 novembre, “Toute la journée passée parmi les ruines, une indigestion de ruines, plus que suffisant pour évoquer la grandeur romaine.” Toute la grandeur de Rome en une seule journée, en somme !!
C’est la nouvelle Rome qui l’attire. Il approuve l’éventrement d’un vieux quartier pour faire place à l’actuel Corso Vittorio ainsi que la démolition du Ghetto. Il voudrait éliminer toutes les rues tortueuses et malodorantes. La sensation d’étroitesse revient dans toutes ses observations : le Forum est “ petit et gris “ (sic ! ), le Corso lui donne une sensation “ d’étroitesse “ ; le Pincio est, lui aussi, considéré étroit : “ Tout est étroit et mesquin, mais le panorama est merveilleux” (ouf, il le reconnait quand même !).
Villa Borghèse est considérée “pas grande” – elle est peut- être comparée, d’une façon inexacte, au Bois de Boulogne, qui est à juste titre un bois et non une villa – et son petit bosquet est défini “mal entretenu “.
Pas même, Villa Medici, l’Académie de France, reçoit son approbation totale ! “La vérité, c’est que la villa est délicieuse sous ce beau ciel, avec l’horizon splendide de Rome, mais il faut avoir une âme rêveuse et contemplative.
N’importe quel homme d’action et de lutte doit y mourir d’ennui.” A ce point-là ?!
En se promenant à via Giulia, Zola décide que ce sera là l’endroit où il fera évoluer son personnage. Mais Pierre Froment s’intéresse surtout au quartier quadrillé Prati di Castello. Il approuve, comme son auteur, le lotissement de la Villa Ludovisi pour la construction d’un quartier ouvert et moderne. Il souhaite la construction d’un métro et se plaint – déjà ! – des moyens de transport insuffisants : il y a peu de lignes de tramway à cheval et pas encore de lignes électriques. La première ligne électrique sera inaugurée en 1895, un an après le séjour de Zola.
A la fin de son séjour, le romancier est reçu par le roi Umberto 1er ; Alexandrine sera reçue, avec son mari, par la reine qui la fait installer à ses cotés sur le canapé. Il n’est pas reçu, en revanche, par le pape Léon XIII, sûrement à cause du contenu de son œuvre entière. S’y attendait-il ?
Le 5 décembre, l’écrivain laisse la ville en se demandant “si Rome ne deviendra jamais une capitale moderne”. Son jugement est – peut-être – toujours valable aujourd’hui (en partie ?).
Mais je préfère garder, parmi ses commentaires, ceux qui nous racontent les panoramas et les couchers de soleil de Rome ; je préfère me rappeler Alexandrine, si heureuse de recevoir chaque matin un bouquet de fleurs fraîches à son réveil, si amoureuse de “la nouvelle Rome “, qu’elle s’est mise à apprendre l’italien pour y retourner chaque année, pour y rencontrer ceux qui deviendront ses amis, le comte Primoli et Attilio Luzzatto ( journaliste et homme politique), et pour se promener dans les jardins de Villa Borghèse et de Villa Medici qu’elle définit “ enchantés “.

Texte de Patrizia Maccotta (traduction Marion Simprez)