Dante, toujours d’enfer

Dante, toujours d'enfer

Dante, toujours d’enfer

Nel mezzo del cammin di nostra vita
mi ritrovai per una selva oscura,
che la diritta via era smarrita.

C’est par ces vers célèbres que débute L’Enfer, première partie de la non moins célèbre Divine Comédie. Dante espérait que son œuvre lui survivrait ; nous fêtons cette année les 700 ans de sa mort et son souhait a été plus que largement exaucé, ses récits irriguent encore et toujours l’imaginaire occidental.

Lorsqu’il en débute l’écriture en 1306, Dante est en exil. En effet, la situation politique de Florence au XIVème siècle est complexe. Citoyen aisé qui sut, au besoin, prendre les armes, il fut aussi un homme politique engagé lors de la lutte pour le pouvoir entre les guelfes et les gibelins. A la suite d’une guerre intestine entre guelfes, le poète, menacé du bûcher, fut contraint à l’exil, trouvant alors refuge auprès de seigneurs ou de princes. La Divine Comédie a ainsi été écrite à un moment où Dante n’avait plus de maison, plus d’amis, banni de sa propre ville.

Quelle était son intention en s’attelant à la rédaction de ce qui allait devenir une référence, et pour longtemps, de la culture italienne et bien au-delà ? Les interprétations sont multiples. Tous s’accordent cependant pour dire qu’il voulait écrire un poème qui s’adressait au peuple. Il voulait aider les hommes à se tirer de l’état malheureux où ils se trouvaient et leur redonner de l’espoir (selon une dédicace de Dante adressée à l’un de ses protecteurs).
Il choisit pour cela de ne pas écrire le poème en latin, langue érudite mais qui n’était pas comprise par tous au Moyen Age. Cette décision fut lourde à prendre, la langue latine était en effet considérée comme éternelle. Écrire en italien « du peuple », c’était comme vouloir construire un monument extrêmement fort dans une matière extrêmement friable, alors que le latin aurait été le marbre (Jacqueline Risset, traductrice de référence de Dante, documentaire Arte 2006). Ce faisant, il en fit le texte quasi fondateur de la littérature italienne.

Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate.

L’œuvre raconte le voyage imaginaire du narrateur qui se retrouve brusquement plongé dans une forêt sombre. Il y rencontre Virgile qui l’invite à pénétrer dans le monde de l’au-delà. Dante le suit et c’est par la visite de l’enfer que commence son périple, suit le purgatoire et enfin le paradis.

Dante franchit la porte de l’enfer, en compagnie de Virgile qui va l’accompagner, comme un père, tout au long de ce long voyage dans l’entonnoir infernal. Dans ces ténèbres éternelles, rien n’est épargné à Dante, stupéfié par ce qu’il voit, entend et respire. Il y croise de terrifiantes créatures comme Cerbère, d’infernales furies et surtout ces humains pécheurs ou qui n’adorèrent pas Dieu « comme il convient » : Ulysse, Attila ou Francesca da Rimini et Paolo. L’Enfer n’est que désordre et horreur, fureur, gémissements et épouvante.

L’étape suivante de ces pérégrinations « dantesques » est le purgatoire et ses sept corniches étagées, parfois étroites. Dans ce lieu intermédiaire de l’au-delà, pour atteindre le domaine divin, les âmes doivent se purger des sept péchés capitaux : orgueil, envie, colère, paresse, avarice, gourmandise et luxure. Plus les âmes progressent, plus leur peine est allégée, souvent par le repentir, car le purgatoire promet l’espoir, comme le suggèrent les ailes colorées des anges qui en ouvrent les portes, à condition qu’on leur fasse révérence. Ce que fait Dante, qui progresse avec difficulté parmi les gradins escarpés, encouragé toujours par Virgile, qui lui parle de Béatrice, celle qui va désormais le guider.

Avec ses neuf cercles angéliques, en constant mouvement, Le Paradis n’est pas de tout repos non plus. Il est aveuglant par toutes ses lumières, et difficilement supportable par la puissance des émotions qu’il suscite chez Dante, toujours torturé par le chagrin d’avoir perdu celle qu’il n’a jamais cessé d’aimer : Béatrice Portinari. C’est elle qui prend le relais de Virgile et qui va guider Dante dans l’Empyrée. Elle lui ouvre la porte du salut, puis Saint Bernard conduit Dante dans la Rose céleste jusqu’à la vision suprême.

La puissance du poème de Dante est telle qu’un très grand nombre d’artistes s’y sont intéressés. Sa puissance réside dans la force évocatrice des descriptions, souvent troubles et torturées, qui sont autant d’images très fortes. C’est un texte d’images, c’est un peu comme lire le livre après avoir vu le film ! Les illustrations de Gustave Doré sont à jamais liées à La Divine Comédie. Eugène Delacroix a signé lui aussi quelques illustrations inoubliables. Et que dire de la Porte de l’Enfer de Rodin ?

Père de la langue italienne, Dante est avec Pétrarque et Boccace l’une des « trois couronnes » qui imposèrent le toscan comme langue littéraire. En 2020, le Conseil des Ministres italien a approuvé la date du 25 mars comme journée officielle de commémoration de Dante. Cette date a été choisie parce qu’elle représente, selon les spécialistes, la date du début du voyage en enfer et de la rencontre avec Virgile. Autre hommage, littéraire celui-ci : une nouvelle édition en Pléiade de La Divine Comédie est à paraître cet automne. Avis aux amateurs !

Texte de Emmanuelle Imberty

(Gilles Heuré, Télérama 3742 du 29/09/21)
Portrait de Dante Alighieri, réalisé en 1495 par Sandro Botticelli (collection privée)