Le choix de François : "Mahmoud ou la montée des eaux" de Antoine Wauters

Le choix de François : "Mahmoud ou la montée des eaux" de Antoine Wauters

"Mahmoud ou la montée des eaux" de Antoine Wauters

Exercice toujours périlleux pour un auteur de s’aventurer dans une œuvre en vers libres. Outre les éventuels sarcasmes de critiques rétifs à tout écart des sentiers battus,
L’écrivain qui s’y essaie court le risque de déstabiliser le lecteur peu accoutumé au rythme parfois syncopé de la phrase ou à la fréquence des allers-retours dans le temps, d’un périple à travers une existence chahutée par le chaos des événements.

C’est pourtant le défi qu’a magnifiquement relevé Antoine Wauters, jeune écrivain belge de langue française résidant à Anvers, avec ce court roman (140 pages), paru en 2021 et récompensé par les prix Marguerite Duras 2021 et du livre Inter 2022.

A travers l’histoire de Mahmoud, devenu pêcheur sur ses vieux jours, l’auteur nous conte la tragédie d’un pays et de sa population, la Syrie, le naufrage d’un peuple submergé par les vagues successives de violence qui n’ont cessé de déferler sur ces sinistrés de la vie depuis près d’un demi-siècle.
Sur le lac El-Assad, Mahmoud laisse dériver la barque ("ma petite barque qui se dandine, ma petite tartelette de bois ") sur laquelle il a rendez-vous,au soir de sa vie, avec sa solitude. Il s’efforce de maintenir à distance le fracas qui gronde non loin de son cabanon.

Muni d’un masque et d’un tuba, il plonge dans les abysses à la recherche de son passé, une introspection qui le mène « vers ce qui s’est perdu », son village englouti par la construction du barrage de Tabqa dans les années 1970, projet pharaonique décidé par Hafez El-Assad qui a privé 11 000 familles de leur logis.
Mais remonte également à la surface la douceur de vivre, lorsque le monde était encore habité par Leïla, sa première femme, morte en couches. Ou le visage et le corps de Sarah, sa bien-aimée, qui se passionne pour la poésie russe de Maïakovski ou d’Anna Akhmatova, les après-midi sur la terrasse du café Farah, les odeurs d’anis, "toute une galaxie de particules insaisissables composées de millions et de millions de moments, lieux, odeurs, douleurs, mots et silences qui ont empli ma vie ".

Sous les coups de boutoir des luttes opposant les Forces démocratiques et les hommes (de Daech) en noir qui hurlent, le niveau de l’eau ne cesse de monter, menaçant de tout emporter. Dans ce contexte, comment ne pas comprendre le choix, si douloureux pour lui, de ses trois enfants partis pour se battre ! Alors, " certains jours, il (lui) arrive de ne pas avoir la force de plonger ".
De peur de revivre les sévices endurés au cours des trois années d’emprisonnement dans les geôles du régime ou de se ressouvenir des indigestes hymnes au dictateur qu’il lui a fallu, du temps où il était professeur, rabâcher à ses élèves pour les endoctriner.

Le roman d’Antoine Wauters fait écho à " La plongée " de Lydia Tchoukovskaïa et la douleur de l’introspection à laquelle elle s’est livrée dans cette œuvre en ces termes : "Plus grande était la profondeur à laquelle j’arrivais à plonger, plus on me faisait mal en me tirant vers la surface et plus ce supplice durait longtemps" .

Wauters ne méconnaît pas la douleur de la plongée de son personnage ; il nous offre toutefois un texte plein de poésie, d’émotion et de tendresse qui ne manque pas d’émouvoir le lecteur.

Texte de François Pellerin