Le choix de François : "Les abeilles grises" de Andrei Kourkov

Le choix de François : "Les abeilles grises" de Andrei Kourkov

L’actualité littéraire, c’est aussi l’Ukraine !

"Les abeilles grises" de Andrei Kourkov

Carte de l'Ukraine

Difficile pour un écrivain de coller à l’actualité ! C’est pourtant ce que vient de réussir Andreï Kourkov, « russe ethnique, mais ukrainien politique » comme il s’est lui-même défini, avec la sortie en France le 2 février 2022 de son dernier roman « Les abeilles grises ».

"Les abeilles grises" du romancier ukrainien Andréï Kourkov, une farce réaliste qui nous plonge dans la guerre du Donbass !

Né dans la région de Léningrad, il a passé son enfance à Kiev qu’il a dû quitter il y a peu pour se réfugier dans l’Ouest de l’Ukraine. Nous devions déjà à cet écrivain de langue russe « Le pingouin », « Le laitier de nuit » ou « Le concert posthume de Jimi Hendrix », romans dans lesquels le lecteur se trouvait immergé dans la réalité du monde post-soviétique.

L’action des « abeilles grises » se situe en zone grise, dans un village du Donbass, coincé entre séparatistes russes et armée ukrainienne. Seuls Sergueï et son meilleur ennemi Pachka ont décidé de rester, à deux pas de l’église détruite par un obus et à l’écart de la route dont il faut contourner les cratères d’obus lorsqu’on l’emprunte. Le début de la guerre, lorsqu’ils l’évoquent, c’est l’année 2014. Sergueï, qui réside ironiquement rue Lénine, reçoit de furtives visites de Petro, un soldat ukrainien alors que Pachka, rue Chevtchenko, se procure du ravitaillement auprès de soldats russes. Pour survivre, les deux personnages en arrivent à se parler, puis à se préoccuper l’un de l’autre. Au loin, on entend la canonnade ; plus près, du fond de son potager, Sergueï aperçoit le cadavre d’un soldat dont on ne sait par quel sniper il a été abattu ; il passera tout l’hiver dans la neige. Pour tuer le temps, on en est réduit à quelques séances de « cuitothérapie » quelques centaines de grammes de vodka aidant à noyer les excès de la veille. Un beau jour, survient un butor venu de l’Oural qui leur assène : « Tout ce qui était soviétique est devenu russe. Et ce qui n’est pas devenu russe, ça le deviendra plus tard. » Une philosophie politique dont on devine aisément l’inspirateur.

Sergueï est apiculteur. L’hiver arrivant, il se préoccupe du bien-être de ses abeilles mis à mal par le fracas des obus, le sifflement des balles et le crépitement des rafales. Il se souvient du bon vieux temps où il recevait la visite du gouverneur. Ce dernier venait s’allonger sur les ruches pour y savourer un bref moment de détente, un plaisir que Sergueï lui avait enseigné et qu’il peut encore s’offrir au milieu de la guerre. Au printemps, Sergueï décide de quitter momentanément le village pour offrir à ses abeilles un endroit où, l’espère-t-il, celles-ci pourront butiner loin de la mitraille. Son périple, riche en péripéties, parfois cocasses, parfois tragiques, le mènera jusque chez les Tatars de Crimée, un autre peuple malmené par l’histoire. Au retour, Sergueï s’inquiète de voir certaines de ses abeilles devenues grises, à l’image de la zone dans laquelle se situe son village. Il en vient à se demander si les abeilles, qu’il avait cru plus sensées que les hommes, ne sont pas finalement devenues comme ceux-ci.

Mieux que nul autre, Kourkov plonge à nouveau son lecteur dans l’univers post-soviétique. Dans cet ex-empire, démembré non en Etats ou régions, mais en morceaux, voire en lambeaux, se rencontrent de tragiques bizarreries héritées du passé, nourries par les préjugés et incompréhensions entretenus par la propagande du grand voisin russe, omniprésent non seulement sur le terrain mais également dans les esprits. A sa lecture, on ne peut que tristement constater jusqu’à quel point Kourkov vient de nous livrer, avec « Les abeilles grises », un roman prémonitoire.

Texte de François Pellerin

Et pour compléter, voici d’autres oeuvres :

Livres de A.Kourkov