“L’ultimo meraviglioso minuto” donc : si nous posons que l’âge de notre planète, 13,8 milliards d’années, équivaut à 12 mois, alors les dinosaures arrivent pour Noël, et nous juste avant la fin de l’année : nous sommes bien l’humanité de la dernière minute.
Pietro Ruffo s’interroge sur les origines de la terre, de la vie, de l’humain et met son art au service de sa réflexion, comme un enfant qui dessine pour comprendre .
Pour nous raconter l’histoire de la planète, il peint des canyons désolés, stériles et démesurés, en dressant deux immenses fresques aux énormes montagnes ocrées que dominent des esquisses de coquillages fossiles surdimensionnés .
La mer viendra, ou reviendra, fertiliser ces terres arides, car voici dans la même salle un gigantesque jardin bleu de 10m x 21m, un foisonnement végétal sur un rideau textile, une jungle luxuriante et impénétrable réalisée sur papier millimétré et soigneusement agrandie à démesure, échelle 10/1, puisqu’au commencement du monde tout est colossal comme ce jardin d’Eden.
Pourtant, dans ces espaces encore inhabités, le temps est déjà là. Là sédimentation des végétaux en témoigne, que Pietro Ruffo met en scène en nous proposant d’en scruter les couches à travers les hublots d’œuvres circulaires où les traces végétales stagnantes se décomposent et prennent toutes les nuances à diverses profondeurs : comme la distance entre les plans verticaux donne l’illusion de la perspective dans un diaporama, l’espace entre les strates donne la mesure du temps qui passe.
Inexorablement, nous allons vers la “dernière minute “, la nôtre, l’âge de l’anthropocène où apparaissent les hominidés, Neanderthal, homo sapiens, seul représentant animal. Ruffo en étudie le crâne, coquille vidée de sa matière vivante, résidu minéral, comme le coquillage. Il peint sur des toiles les outils issus de ces cerveaux, et les coquillages désertés.
Au fond, le grand livre de l’histoire de l’univers est un livre de géologie, puisque tout finit inévitablement par se pétrifier , en ordre chronologique parfait, dans les couches minérales, même quand les séismes sèment la pagaille !
Seul le végétal renaît indéfiniment, “The planetary garden “, c’est le propos d’un court film réalisé par Ruffo et Noruwei.
Nous voilà édifiés, et prêts à entrer dans la dernière salle, la plus aboutie, où Ruffo, artiste romain, cherche à situer sa ville dans l’infini de l’espace-temps : que s’est-il passé sur le lieu où s’est développée Rome, où, comme dans un palimpseste, chaque âge efface le précédent pour que s’écrive une nouvelle histoire. Pour l’expliquer, toujours comme dans un diaporama, Ruffo organise des strates qui autorisent une double lecture : sur le fond, des plans anciens de la Rome qui a été ou qui un jour sera, la Rome impériale, le Panthéon, les coupoles de la Renaissance, et par-dessus, des strates qui nous montrent la ville sous la mer, puis envahie par une forêt primaire.
L’environnement change, la beauté émerge, l’humain marque la nature de son empreinte et affirme sa domination, dont nous savons aujourd’hui qu’elle est illusoire, voire dangereuse, et dont nous connaissons désormais les limites.
Les œuvres sont striées de lianes qui tracent leur chemin implacable, brouillent le réseau humain des rues, enserrent les édifices en effaçant l’empreinte des humains.
Au terme de ce parcours, Ruffo intitule la plus grande des œuvres de cette salle “Rome, notre avenir sous la mer". Tout ce qui un jour a émergé sur le site de la ville, tout ce que les humains ont édifié se trouve submergé, et le monde marin reprend ses droits. La perspective change, il ne s’agit plus de la culture qui surgit de la nature, mais, à rebours, de l’éternel retour souverain de la nature dont la force peut/va mettre fin à l’anthropocène.
“L’anthropocène, signe de notre puissance, mais aussi de notre impuissance”
Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, La terre, l’histoire et l’avènement de l’anthropocène, Paris 2013, cité par P.Ruffo.
Vous avez encore le temps, jusqu’au 16 février, d’aller voir cette belle exposition dont les œuvres, très pédagogiques, nous éclairent, nous donnent à penser et nous enchantent de leur beauté.
Si le travail de Pietro Ruffo vous intéresse, nous vous signalons qu’il a réalisé un murales sur les silos de Piazza Venezia.
Par ailleurs, Pietro Ruffo a également créé une œuvre pour l’exposition d’art contemporain “ÉMOTION”, actuellement au cloître du Bramante... à voir jusqu’au 6 janvier 2025.
Texte de Nicole Allegra
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