Ah, le lilas… rien que le nom… trois notes qui coulent comme un gazouillis, une chansonnette déjà, évoquant la fraîcheur ensoleillée du parfum qui nous embaume et nous enchante… et voilà le bonheur d’avril, tout l’éveil rose et blanc du printemps !
C’est un arbuste buissonnant qui peut atteindre 5 mètres de hauteur : Syringa vulgaris est de la famille des Oléacées, et s’épanouit depuis des millénaires dans les jardins d’Europe du Nord au climat tempéré, mais aussi dans la zone des Balkans et en Asie mineure d’où il est originaire . Son nom, lilas, viendrait de l’arabe liläk et du persan nilik qui veut dire “bleu”, nili désignant en sanscrit une plante d’où on extrait l’indigo. En revanche, Syringa vient du grec et renvoie au tube qui soutient les corolles simples ou doubles de ses fleurs crucifères.
Je peux vous dire qu’au printemps le lilas ne perd pas une minute ! Il ne lui faut pas plus de quinze jours pour ouvrir ses minuscules bourgeons, déplier ses feuilles en forme de cœur, découvrir ses petites grappes de perles dures et closes que le soleil va transformer en glorieux panicules dressés qui s’épanouissent en blanc, en pourpre, en rose pâle ou cramoisi, en violet ou en…lilas. Une époustouflante rapidité, une trentaine de variétés.
Dès lors, le lilas, ayant ravi nos yeux et nos nez, s’en prend à nos oreilles et devient un arbre-orchestre où dans un rayon de soleil les abeilles butinent, les papillons se posent, où tous les insectes vrombissent à l’unisson pour faire chanter l’arbuste.
Vous avez envie de la planter chez vous ? C’est facile ! Un trou de 40 cm de profondeur, un mélange de terre de jardin et de terreau, un arrosoir plein d’eau et le tour est joué. Les premières années, paillez-le pour réduire l’évaporation s’il fait très chaud, arrosez-le de temps en temps et après, n’y pensez plus ! Si vous voulez faire du zèle, coupez les fleurs fanées et les pousses à l’intérieur de l’arbre pour plus de luminosité, mais c’est facultatif, je vous l’assure. Quand vous coupez un bouquet pour la maison, il faut écraser les tiges sur quelques centimètres et changer l’eau souvent pour prolonger la floraison en vase.
Bien sûr, la mythologie ne manque pas de nous conter l’histoire du dieu Pan, qui poursuit la nymphe Syringa dont il est amoureux… mais Syringa, à l’instar de Daphné, se métamorphose pour lui échapper… en buisson de lilas, vous avez deviné !
Évidemment, la médecine populaire profite de ses bienfaits, une décoction d’écorce contre la fièvre, une tisane de feuilles contre les maux d’estomac, une macération de ses fleurs dans l’huile pour un massage à base de lilacine.
Et plus concrètement, son bois est apprécié pour la fabrication des pipes.
Il va de soi que ses fleurs sublimes sont chargées de symboles, comme la pureté et l’innocence pour les lilas blancs dont on raffole pour les mariages et les baptêmes. Le lilas rose évoque les premières émotions de l’amour juvénile, et le violet le coup de foudre.
Car si le lilas est une fleur, il est aussi une couleur, une couleur subtile, un peu plus rose que le lavande qui est plus bleu, un peu plus pâle que le glycine, un peu moins vif que le mauve… quelle palette raffinée, ce nuancier floral !
Le lilas serait, à l’extrémité chaude du spectre chromatique, la rencontre parfaite entre la chaleur du rouge et la froideur du bleu, dans toutes les déclinaisons du clair.
Ce sont, paraît-il, les Anglais qui définissent la couleur comme telle, et qui, à l’époque victorienne (1837-1901) l’introduisent dans la garde-robe féminine du deuil et du demi-deuil. Au XXème siècle,
le lilas s’affranchît de ce triste registre et envahit la mode, la cosmétique, la décoration d’intérieur, pour continuer de plus belle de nos jours.
En France, Les Lilas est une commune de 20 000 habitants près de Paris, près de la Porte des Lilas, justement, et donc aussi une station de métro où pour l’éternité c’est Gainsbourg qui poinçonne les tickets : (“J’suis l’poinçonneur des Lilas”)
Lilas, lilas… tu n’en finis pas de nous surprendre, et pourtant, on connaît la chanson !
Savez-vous combien de couplets, combien de refrains et de rengaines nous avons fredonnés depuis… Louis XIV ?
Voilà pour vous mon bouquet chanté :
- La marche militaire au rythme entraînant des soldats de Louis XIV, vous la connaissez tous, on la chante même dans les vallées francophones du Val d’Aoste et du Piémont :
“Dans le jardin de mon père
Les lilas sont fleuris,
Tous les oiseaux du monde
Viennent y faire leur nid.
Auprès de ma blonde…”
- Une autre vieille chanson sur le thème de l’amour volage a été enregistrée par Guy Béart en 1966, mais elle date du XVIIIème siècle. Plutôt gaie et désabusée.
“Mon amant me délaisse
O gué, vive la rose
Je ne sais pas pourquoi
Vive la rose et le lilas !”
(Il faut bien dire que le lilas a la rime plus facile que sa concurrente la rose).
- En 1890, Ernest Chausson compose une chanson pour voix et piano “Le temps des Lilas” sur un poème de Maurice Bouchor dont vous trouverez sur You Tube l’interprétation de Gérard Souzay.
- Reynaldo Hahn, compositeur ami de Proust, publie en 1896 “Le rossignol des Lilas” pour voix et piano.
- En 1898, Emile Mercadier chante “Quand Les Lilas refleuriront “, paroles Georges Auriol e , musique Désiré Dinau . Cette chanson aura bien d’autres interprètes tout au long du XXème siècle.
En voici le 2ème couplet :
“Quand les lilas refleuriront
Nous redescendrons dans la plaine
Cloches sonnez vos carillons
Quand les lilas refleuriront
Les papillons qui se promènent
Dans l’air avec les moucherons
Comme nous danseront en rond
Allez dire au printemps qu’il vienne !
- En 1905, Félix Mayol a un immense succès avec une chanson tragique comme on les aime à l’époque.
“Lilas blanc, mon brin joli de lilas blanc” raconte le désespoir d’une jeune femme séduite, abandonnée, et qui en meurt. Sur sa tombe poussera… un lilas blanc.
- En 1909, la compositrice et cheffe d’orchestre Nadia Boulanger propose, sur un poème de Georges Delaquys, “ Les lilas sont en folie… et sous les feuilles cachez-vous…” alors que sa sœur Lili Boulanger, compositrice elle aussi, écrit une autre chanson sur le même thème “Les lilas qui avaient fleuri”
- En 1929, “Quand refleuriront les lilas blancs, on se redira des mots troublants…”
(de Lelièvre, Varha et Doelle) est un succès international, qui sera repris par Jean Sablon puis par Tino Rossi en 1968 dans une autre version.
Après quoi ce sont les années soixante qui s’emballent pour l’éternel retour du printemps et des lilas, et c’est une explosion :
Brassens, Brel, Barbara, Aznavour, Jean Ferrat, sans oublier Michel Legrand.
- En 1957, dans l’album 5 de Georges Brassens :
“Quand je vais chez la fleuriste
Je n’achète que des lilas …”
- En 1962, Barbara
“J’en ai profité du temps du lilas
Du temps de la rose offerte”
- En 1962, Jacques Brel
“Ce soir j’attends Madeleine
J’ai apporté du lilas
J’en apporte toutes les semaines
Madeleine, elle aime tant ça “
- En 1964, Michel Legrand musicien auteur de tant de musiques de films, compose “La Valse des Lilas”
“Mais tous les lilas, tous les lilas de Mai
N’en finiront, n’en finiront jamais
De faire la fête au cœur des gens
Qui s’aiment, s’aiment, s’aiment…”
- En 1966, Charles Aznavour chante “La Bohème“, dont il est l’auteur, paroles et musique : "je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître..."
Montmartre en ce temps-là accrochait ses lilas jusque sous nos fenêtres …
- En 1970, c’est le tour de Jean Ferrat :
"Je rêve et je me réveille
Dans une odeur de lilas
De quel coté du sommeil
T’ai-je ici laissée, ou là ?”
Si vous êtes arrivés au bout de cette liste non exhaustive, j’espère que c’est en fredonnant, car malgré la triste annonce d’Aznavour à la fin de “La Bohème”, “ Et les lilas sont morts”, vous pouvez constater que leur saison n’en finit pas.
Peut-être parce que les lilas ont une fée ?
La Fée des Lilas ?
Sa dernière apparition, c’était en 1970 : Delphine Seyrig, la marraine de Catherine Deneuve dans “Peau d’ âne”, le film de Jacques Demy, musique de Michel Legrand ( un spécialiste du lilas !), expliquait à sa filleule “ mon enfant, on n’épouse jamais ses parents”.
Oui, mais la Fée des Lilas, elle est déjà là dans le ballet et dans le conte “La Belle au bois dormant”, c’est elle, la bonne fée qui déjoue la malédiction de la fée Carabosse, lors du baptême de la princesse Aurore auquel on ne l’a pas invitée. Grâce à la Fée des Lilas, Aurore ne mourra pas, elle dormira 100 ans.
Qui se cache donc derrière cette homonymie, derrière cette double fée des lilas ? Tout simplement l’auteur des deux contes, Charles Perrault !
Un ballet, un film, deux fées et une ronde de chansons classiques ou populaires pour notre merveilleux lilas… alors, vite, un bouquet pour le respirer pendant ce jeune printemps qu’on espère chaque année et qui ne dure pas…
Pas de panique.
Le temps du lilas fané, c’est… le temps des cerises !
Et c’est encore Colette qui a le dernier mot :
“Oh, les lilas, vois comme ils grandissent !
Leurs fleurs que tu baisais en passant l’an dernier, tu ne les respireras, mai revenu, qu’en te haussant sur la pointe des pieds, et tu devras lever les mains pour abaisser leurs grappes vers ta bouche…”
(Les Vrilles de la vigne, Paris 1908)
NB : Le tableaux de cet article : le parme "Lilas à une fenêtre de Mary Cassatt 1880"
Texte de Nicole Allegra
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