Florarium : en juin...
Fidèle à ROME Accueil et à sa passion pour la nature, Nicole Allegra nous propose de découvrir chaque mois une plante, quelle est-elle cette fois-ci ?Le mois de juin où le soleil va monter au plus haut zénith du solstice voit la floraison triomphale d’une plante extraordinaire, fascinante et splendide, une plante presque sans feuilles qui s’installe sur les pentes abruptes et caillouteuses où presque rien d’autre ne pousse, une plante qui ne craint ni la sécheresse, ni le gel, ni même le feu qui stimule sa renaissance.
On ne lui connaît aucune maladie, c’est une plante rustique qui colonise les friches, et même les bords des autoroutes, en France comme en Italie.
C’est assez dire que vous la connaissez !

Une plante ainsi décrite dans un dictionnaire de Sciences naturelles de 1820 : “La plante attire les abeilles, nourrit les moutons et les chèvres et donne des toiles” , et pas seulement des toiles, des draps et des vêtements, mais aussi des cordes, des balais et des tapis.
Vous dites le chanvre ? Non, ce n’est pas le chanvre !
Une plante indestructible une fois installée, dont il existe une vingtaine de variétés. Une de ces variétés était utilisée par les teinturiers pour obtenir une couleur jaune poussin, brillante et solide. Vous avez maintenant compris la couleur de ses fleurs.
Donc, ce n’est pas non plus le lin.
La plante est citée trois fois dans la Bible où elle renvoie au désert et à l’amertume de la solitude.
D’ailleurs, le Christ l’aurait blâmée : selon une légende sicilienne, pendant qu’il priait au jardin de Gethsémani, la plante, qui poussait au milieu des oliviers, se mit à crépiter (nous verrons pourquoi) et alarma les soldats romains qui trouvèrent Jésus et se saisirent de lui. Jésus s’adressa alors à la plante en question : “tu feras toujours du bruit quand tu brûleras”, et nous verrons plus loin que cette réprimande n’était qu’une manière de lui concéder l’immortalité.
Au Moyen-Âge, notre roi Saint-Louis, Louis IX, la tenait, lui, en grande estime.
Il voyait dans sa beauté spartiate un symbole de modestie et d’humilité, qualités qu’il souhaitait pour l’Ordre chevaleresque qu’il fonda sous le nom de notre plante-mystère … Ses chevaliers, manteau de damas blanc à capuchon violet, plaque pectorale d’or à son effigie, portaient une chaîne et une croix d’or gravée de la devise latine “Exaltat humiles”, exalte les humbles. Les cent chevaliers de l’Ordre servaient dans la garde du roi avec pour mission de le protéger.
Voilà donc une plante élue par un Roi de France, mais ce n’est pas la fleur de lys…
Il y a une autre dynastie royale, c’est un comble, avec laquelle notre plante ne fait qu’un, puisqu’elle figure dans le nom même de la lignée, et sur son blason…
(Et là, c’est le dernier indice que je vous donne !)
À l’origine du nom, Geoffroy d’Anjou, qui épousa Mathilde, fille de Henri Ier d’Angleterre. Vous avez trouvé ? Non ?
Geoffroy avait l’habitude de piquer à son chapeau un rameau de notre plante, et s’en servait, dit-on, pour camoufler ses abris de chasse… d’où le sobriquet qu’on lui donna, et que son fils emporta avec lui en Angleterre, puisqu’il en devint roi en 1154, fondant la dynastie des… Plantagenêt, mais oui !!!
“Dieu et mon droit”, les Plantagenêt régneront sur l’Angleterre jusqu’à la mort de Richard III en 1485.
Voilà, c’est bien du genêt que nous parlons depuis le début ! Si vous avez deviné, bravo !
Et l’Ordre fondé par Saint-Louis s’appelle l’Ordre du Genest.
Si nous remontons le flux de l’Histoire, nous trouvons un saint, Saint Genest, bien avant Saint Louis, un saint romain, un comédien converti, martyr chrétien du IIIème siecle persécuté et exécuté par l’empereur Dioclétien.
Pour l’anecdote toponymique, il existe en Normandie, tout près du Mont Saint-Michel, une petite commune qui s’appelle GENÊTS, et en Italie, en Basilicata, provincia di Potenza, un village de 600 habitants appartenant à la minorité linguistique albanaise, GINESTRA. Plus fort encore, au Canada, dans l’Ontario, la ville de… PLANTAGENÊT !
Mais revenons à notre genêt, Spartium junceum, le spartier, ou genêt d’Espagne, l’espèce la plus répandue en France comme en Italie (ginestra odorosa). C’est un arbuste buissonnant au port un peu raide, de 50 cm à 2 mètres de hauteur pouvant aller jusqu’à 5 mètres, que l’on trouve en Europe, autour du bassin méditerranéen, aux Canaries, aux Açores et jusqu’en Crimée, et sur toutes les îles. Sa croissance est rapide, ses tiges/branches en forme de jonc (“junceum”), flexibles, finement striées, de section circulaire, assurent l’essentiel de la fonction chlorophyllienne. C’est ce qui confère à la plante sa résistance exceptionnelle : ses feuilles rares, alternées, oblongues, lancéolées, étroites, sont extrêmement réduites, peu visibles et précocement caduques, de telle sorte qu’au moment de la floraison, il n’en reste presque plus, et ce sont alors les tiges vertes qui prennent le relais. L’élimination de la surface transpirante des feuilles réduit la perte d’eau, voilà la solution radicale qui permet au genêt d’affronter canicule et sécheresse.
Se débarrasser prématurément de ses feuilles, c’est tout de même étonnant pour un végétal ! Pourtant, c’est efficace.
Avec cette stratégie d’adaptation, le genêt s’épanouit dans les climats chauds et ensoleillés jusqu’à 600 mètres, mais s’installe aussi dans les Appenins et sur les pentes du Vésuve jusqu’à 1400 mètres. Sur l’Etna, en Sicile, on peut même en trouver jusqu’à 2000 mètres. Le genêt supporte très bien l’air salin et pousse sur les terrains calcaires ou argileux, les sols saumâtres ou arides, les cendres, les pierres, la lave même, les pentes abruptes d’où il dégringole en cascade, rien ne fait peur à notre plante pionnière, rien ne l’empêche de fleurir !
Les fleurs du genêt… Les merveilleuses corolles papillonacées jaune d’or, cette floraison brillante dès la fin du mois de mai, ces collines, et ces flancs de montagne moutonnant, à la belle saison et jusqu’à fin août, de boules d’or végétal, nous les avons si souvent admirées lors de nos voyages en voiture, pendant les vacances d’été, quand le reste de la végétation s’affaisse sous le soleil de plomb et les températures caniculaires ! Le genêt donne alors le meilleur de son parfum pour attirer les abeilles et les insectes pollinisateurs, favorisant la biodiversité dont nous savons aujourd’hui l’importance.
Un parfum miellé, doux, subtil, familier, enveloppant, - le parfum du bien-être estival qui nous transporte dans un univers symbolique bien différent de celui du désert biblique… La magie de la floraison nous parle de renouveau, de renaissance, d’énergie euphorique. Elle nous enivre !
En fin de saison, les fleurs laissent place aux gousses contenant les graines. Elles sont extrêmement dures. Si vous voulez récupérer les graines, il vous faudra les faire tremper pendant au moins deux jours.
Mais le genêt n’a pas besoin de notre intervention… le soleil cuisant et la grande chaleur se chargent de déformer les gousses, de les tordre jusqu’à ce qu’elles éclatent, s’ouvrant avec un bruit sec et projetant leurs graines à plusieurs mètres. C’est aussi ce qui arrive lors des incendies : ainsi s’explique l’injonction attribuée à Jésus “tu feras toujours du bruit quand tu brûleras”. En effet ! La dessication, la torsion sonore des gousses assure, avec la dispersion des graines, la renaissance de la plante au printemps suivant ; voilà pourquoi le genêt est la première plante à repousser sur le sol brûlé après un incendie.
Le genêt, plante phénix (!!!) si utile pour reboiser ou pour stabiliser les pentes dévastées… car en prime, comme toutes les légumineuses, le providentiel genêt fertilise le sol en apportant de l’azote !
Nous évoquions plus haut ses innombrables usages textiles que les Grecs et les Romains connaissaient déjà, puisque les fibres souples et très résistantes du genêt leur servaient à fabriquer des cordages. Du reste, l’autre nom du genêt d’Espagne, le spartier, vient du grec sparton, qui veut dire corde.
Au XVIII ème et XIX ème siècles, dans nos campagnes, on plantait des genêtières dans les lieux arides pour pouvoir filer les fibres après rouissage dans l’eau des rivières, les tisser et en faire draps et vêtements. Dans les Cévennes, les vanniers l’utilisaient pour tresser des paniers. Le genêt offrait parfois la seule nourriture fraîche pour les ovins pendant l’hiver. Sec, il servait pour le chauffage, ou comme support pour l’élevage des vers à soie.
Le seul défaut qu’on puisse trouver à cette plante miraculeuse, c’est sa toxicité. Elle contient de la cytisine, un alcaloïde pouvant provoquer de graves empoisonnements. Toutefois, les moutons et les chèvres qui s’en nourrissent la tolèrent, mais s’ils en mangent trop, ils risquent la “ginestade", réaction qui pour eux n’est heureusement pas mortelle.
Voilà l’histoire du genêt, si résistant, si facile, si beau et si utile que Pline l’Ancien, naturaliste latin, croyait que ses cendres contenaient de l’or, inspiré par la couleur splendide de sa fleur, qui est celle du soleil et du métal le plus précieux du monde minéral.
Quant à nous qui raffolons de l’or chaleureux et profond de sa floraison odorante, si ce jaune vif qui chante nous met en joie, invitons-le dans nos jardins, car il serait dommage de le cantonner aux talus des autoroutes !
Un poème de Robert Desnos qui joue avec
“ le genêt “
Je n’ai rien dans mes poches
Pas d’anguille sous roche
Je n’ai, je n’ai que des fleurs de genêt
De genêt de Bretagne
D’Espagne ou de Cocagne
Je n’ai, je n’ai que des fleurs de genêt
Jeunet.
(“Chantefleurs”)
Le genêt le plus célèbre de la littérature, c’est sans doute celui de Giacomo Leopardi ( Poésies, XXXIV, 1880).
Pour vous, les premiers vers de ce long poème, dans la traduction de Erri De Luca :
“Ici, sur la croupe sèche
Du mont redoutable,
Le Vésuve exterminateur
Que n’égaie aucune autre plante,
aucune autre fleur,
Tu disposes tes touffes solitaires
Genêt parfumé
Que contentent les déserts….”
Texte de Nicole Allegra
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