Florarium : en mars, le narcisse et la jonquille

Mettons les choses au clair : la jonquille est un narcisse, mais la réciproque n’est pas vraie… puisque la jonquille est une variété de narcisses. Ce sont des bulbeuses amaryllidacées . Parfumées. Parfumées… Si parfumées !

Florarium : en mars, le Narcisse et la Jonquille

Narcisse… peut-être pensez-vous à la psychanalyse, au concept freudien de narcissisme, cette incapacité d’aimer un autre que soi ? Vous voyez, ça commence mal… d’autant que dans le langage commun, un Narcisse est quelqu’un qui exalte ses propres qualités et ses actes…pas follement sympathique !
Et si je vous dis que le bulbe de narcisse est toxique, qu’il contient un puissant alcaloïde, que son parfum peut provoquer la torpeur, ce que l’étymologie nous confirme du reste, puisque narcisse et narcose sont de la même famille … ça ne s’arrange pas !

Pour ce qui est de la figure mythologique de Narcisse, Ovide nous raconte dans les Métamorphoses que ce fils de la nymphe Liriope et du dieu-fleuve Céphise était d’une beauté telle que les femmes comme les hommes en tombaient amoureux. Il les repoussait tous. La nymphe Écho, elle aussi éconduite, en appelle alors au Ciel, qui l’exauce, puisque c’est de son propre reflet dans l’eau que Narcisse va tomber amoureux, et, voulant l’étreindre, il va se noyer. Seules le pleurent ses sœurs les Naïades. Elles donnent son nom aux fleurs blanches qui poussent à l’endroit où il est mort : les narcisses.

Il y a bien d’autres légendes, comme celle que raconte Pausanias : ce serait pour se consoler de la mort de sa sœur jumelle que Narcisse contemple dans l’eau de la source son visage si semblable à celui de sa sœur.
Mais le fin mot de tous ces contes, c’est la transformation de Narcisse en fleur, et c’est le message à décrypter :
Faut-il que l’Ego meure pour que le Soi s’épanouisse ? Ou alors Narcisse nous invite-t-il à chercher, à travers la Beauté, le sens profond de notre existence ?
Le catalogue des interprétations contradictoires est infini et témoigne de la richesse de ce mythe intemporel.
Une fleur comme le narcisse, née du sacrifice d’un héros, nous renvoie aussi au silence du règne des morts. Dans les cérémonies funéraires de l’Antiquité, on en faisait des diadèmes.
Le lien de Narcisse, fils d’un dieu- fleuve et d’une Naïade, avec l’eau, et sa mort par noyade nous rappelle pourtant que l’immersion constitue, dès avant le christianisme, un rite initiatique de purification, une régénération qui permet une nouvelle naissance.
Notre Narcisse nous promène donc dans une forêt de symboles contrastants : l’égocentrisme, l’amour trompeur, la vanité, la langueur et la frénésie amoureuse, mais aussi le désir ardent, le renouveau et l’espoir.
En Chine, tout est plus simple : le narcisse, image du soleil, promet bonheur et prospérité, un peu comme chez Homère, qui voit dans le narcisse ‘admirable fleur rayonnante’, “un spectacle prodigieux“.

Mais revenons à nos floraisons !

Narcissus poeticus, c’est le narcisse botanique, le narcisse sauvage dont on connaît une cinquantaine d’espèces naturelles, alors que les espèces cultivées, dérivées de l’hybridation, sont innombrables.
Le narcisse des poètes, donc, est une plante herbacée vivace à la tige cylindrique sans feuilles qui porte une seule fleur, sauf pour la variété “Tazetta” qui en porte plusieurs. Sa fleur a six sépales au centre desquels se trouve une petite couronne jaune à bord cramoisi. Selon les variétés, sépales et couronne peuvent être de couleurs différentes, et la couronne plus ou moins allongée, en forme de cloche ou de trompette, comme pour la jonquille. Les feuilles sont linéaires et plates.
En Auvergne, le narcisse est roi, mais il pousse dans toute la France jusqu’à 1800 mètres, en Europe et sur le pourtour de la Méditerranée, souvent en très grandes colonies.
Le narcisse et la jonquille sont cultivés depuis des siècles, bien avant notre ère.
Comment procéder pour qu’ils s’épanouissent ?
Il faut enterrer les bulbes à l’automne, avant les gelées, pointe en l’air, à 15 centimètres de profondeur, en plein soleil ou à mi-ombre. Au printemps, vous verrez d’abord poindre leurs feuilles, puis leurs tiges : ils ne vous décevront jamais !
La plante se reproduit spontanément, par graines, ou par division, avec votre intervention : cessez d’arroser la plante quand les tiges sont sèches, après la floraison. À la fin de l’été, vous pouvez extraire les bulbes du terrain, et vous constaterez que des bulbillons se sont formés autour du bulbe adulte. Vous pouvez les séparer et les replanter pour qu’ils se développent et donnent d’autres plantes. Sinon, laissez-les en place pour obtenir de plus grosses touffes.

Si vous voulez fleurir la maison en décembre, essayez de forcer les bulbes pour provoquer une floraison précoce. Pour cela, enveloppez les bulbes dans un sac en papier foncé ( pas de lumière) que vous mettrez deux semaines au réfrigérateur. Après ce faux hiver, vous pouvez les mettre en pot, à la lumière, et la chaleur de la maison sera leur printemps !
Préférez pour ce forçage les variétés miniatures à la grâce particulière (“mini-narcisses”) qui montent beaucoup moins haut sur leurs tiges, ce qui leur évite de s’effondrer, et le risque est grand, car leur ancrage dans le sol n’est pas aussi fort en pot qu’en pleine terre.
Cette fleur ne doit surtout pas manquer d’eau, car, comme dit Colette dans le merveilleux texte que je vous invite à lire, c’est “une grande buveuse”, “elle a toujours soif”.
Tout ce qui précède vaut évidemment pour la joyeuse jonquille, dont la trompette jaune nous ravit ! Déchargée par son nom différent de la lourde polysémie du mythe de Narcisse, elle n’évoque que douceur, chaleur, joie, amour et partage : pensez-donc, on en offre un bouquet pour la fête des grand-mères, le premier dimanche de mars.
La jonquille, c’est surtout un parfum printanier, frais et délicat.
Pour Sénancour (1770-1846), cité par Alain Corbin dans Le Miasme et la Jonquille (1982) “une jonquille était fleurie…c’est la plus forte expression du désir, c’est le premier parfum de l’année. Je sentis tout le bonheur destiné à l’homme”. Vertigineuse puissance de l’odorat !
Le parfum du narcisse est beaucoup plus intense, puissant jusqu’à vous étourdir, si pénétrant que certaines personnes ne le supportent pas. Il est utilisé en parfumerie et cultivé à cette fin en Auvergne : il faut plusieurs tonnes de fleurs pour obtenir par distillation un kilo d’absolu de narcisse.
Alors, respirons à pleins poumons le narcisse de mars si généreux de sa fragrance.
Narcisse et le narcisse sont une source d’inspiration pour une infinité d’artistes, peintres, poètes et même musiciens (Benjamin Britten, une pièce pour hautbois solo). Vous pouvez admirer le tableau du Caravage au Palazzo Barberini à Rome.
La métamorphose a aussi inspiré Poussin, Salvador Dalì, entre autres . Paul Valéry lui a consacré plusieurs poèmes.

Quant aux fleurs, narcisses ou jonquilles, on les trouve dans d’innombrables bouquets peints, par exemple par Van Gogh.

Celle qui en parle le mieux, comme toujours, c’est Colette, qui les appelle les “Jeannettes”, lisez-plutôt :

C’est une grande buveuse que cette “Jeannette “, comme on l’appelle dans mon pays. Elle a toujours soif. À l’aide de son tube vert, tendre et croquant, elle boit comme avec une paille. Elle aspire l’eau du pré spongieux, elle vide le fossé, elle draine les bords du ruisseau temporaire qu’ont empli les pluies d’hiver, et l’avant -printemps ne parle que d’elle, Jeannette, Jeannette, Jeannette…
Mais il lui arrive de changer de sexe, alors on l’appelle Narcisse. Narcisse s’empreint d’une pâleur crémeuse, borde d’ un petit gansé rouge sa collerette gaufrée qui repose sur une berthe de pétales…. Berthe, collerette et gansé… Me voilà donc bien pauvre de mots, que j’en sois à les prendre parmi ceux des parures féminines ? Non, mais l’évocation est directe, et frappante, de pétale à colifichet, de corolle à dentelle.

Quant à la Grande Jeannette, sa trompe creuse sonne de l’olifant sur les prés, aussi la nommons-nous “narcisse trompette”. Au fond de son pavillon, jaune comme de l’or, profond comme le dé de la digitale, s’abrite sa famille d’étamines. Sa robuste corolle est tout entière un piège d’innocent parfum que la pluie efface, que le froid défait, que le soleil de mars réveille. Un chiffon de soie tout froissé lui pend au cou, ah ! cette Jeannette, on n’a jamais pu lui apprendre à mettre convenablement sa cravate…
Colette, "Pour un herbier"

Et si vous aimez les fleurs, ne manquez pas la spectaculaire exposition Flowers au Cloître de Bramante, qui enchantera petits et grands !
vous avez jusqu’au 14 septembre !
https://www.chiostrodelbramante.it/post_mostra/flowers-fiori-nell-arte/

Texte de Nicole Allegra