Florarium : en mai, le Muguet

Le joli mois de mai…nous y voilà !
“En mai, fais ce qu’il te plaît”, dit le proverbe. D’accord !

Florarium : en mai, le Muguet

Alors, je vous emmène cueillir le muguet dans la forêt de la Hardt, en Alsace, ou dans la forêt de Rambouillet, mes deux forêts d’enfance où j’ai fait tant de bouquets.

Prenons une boussole pour pouvoir retrouver la voiture et enfonçons-nous dans le sous-bois. Sous nos bottes, les feuilles mortes craquent et le sol moussu gorgé de pluie fait un bruit d’éponge. Là, au pied d’un jeune chêne, un tapis vert et peut-être… mais non, pas de clochettes, le muguet n’est pas sorti encore.
Plus loin, au détour d’une clairière…le voilà, le gai muguet, une tache verdoyante, une multitude de brins comme une fontaine jaillissante de multiples jets !
Pour ne pas les casser, il faut tirer verticalement à la base les tiges qui glissent alors, avec un petit bruit de baiser, hors de la double feuille qui les gaine et les protège du froid.
Ah ! C’est la fête, la cueillette avide et joyeuse !
Les brins passent d’une main à l’autre, et bientôt la main qui les retient peine à les étreindre, alors c’est le moment de les habiller d’une verte collerette de feuilles pour parfaire ce bouquet frémissant de perles encore closes et de fraîches clochettes dansantes, celles qui embaument ma mémoire… c’est mon visage d’enfant que j’y plonge pour retrouver le bonheur parfait de ces balades en forêt. Chacun sa madeleine…

Il m’est arrivé, chemin faisant, d’en suçoter un brin. NE LE FAITES SURTOUT PAS PAS ! Je n’en suis pas morte, mais la plante est très toxique pour les humains et les animaux, même l’eau du vase d’un bouquet, car le muguet contient des glycosides cardio-toniques et des irritants gastro-intestinaux qui peuvent être très nocifs. Vous pouvez manipuler la plante sans danger, mais il faudra bien vous laver les mains !
Le nom botanique du muguet “convallaria majalis” vient de son nom latin “lilium convallium”, lys des vallées (Lily of the valley en anglais), alors que le français “muguet” dérive de la noix “musquette”, la noix de muscade, allusion à son parfum.
Le muguet est une plante herbacée vivace rhizomateuse que l’on trouve de l’Europe au Caucase dans les sous-bois humides.
Dans nos jardins, c’est une plante couvre-sol qui pousse volontiers à l’ombre et a besoin d’eau, surtout en période végétative. Les racines de ses rhizomes s’étendent sous terre horizontalement.
On peut les diviser en automne, ou semer ses graines rouge foncé (toxiques !) à couvrir d’un paillis de feuilles compostées.

Il existe des variétés aux clochettes roses que je trouve incongrues.

Le muguet blanc nous parle d’innocence, de jeunesse, de virginité aussi, le mois de mai étant celui des mariages. Dès le Moyen-Âge, c’est la fleur des “accordailles” que l’on offre à la fiancée… mais le linguiste Claude Duneton dans son “Bouquet des expressions imagées”, nous signale que “muguetter une fille”, c’est lui faire du charme pour la séduire. Pas si innocent !
Soit dit en passant, si vous fêtez vos noces de muguet, c’est que vous êtes mariés depuis 13 ans. C’est aussi la fleur de ceux qui sont nés sous le signe du Verseau. Et la fleur nationale de la Finlande.

Je n’ai pas vérifié, mais le muguet serait cité 18 fois dans la Bible :
“Je suis la Rose de Saron, un muguet” (Cantique des cantiques)
La mythologie narre qu’Apollon l’aurait créé pour offrir aux neuf muses un tapis parfumé doux à leurs pieds nus.
Une légende chrétienne veut qu’il soit né des larmes d’Ève chassée du paradis, une autre des larmes de la Madone au pied de la croix. Fleur larme, fleur goutte, fleur perle, symbole de rédemption, le muguet fleurit dans de nombreuses œuvres d’art représentant le cycle de la naissance de Jésus, ou encore le Jugement dernier où il apparaît dans les mains des Élus et des Bienheureux.
Dans la Rome antique, les fêtes des Floralies, du 27 avril au 2 mai à peu près, célèbrent Flora, la déesse des fleurs comme son nom l’indique, à un moment où le muguet triomphe. Pour les Celtes, c’est aussi le muguet qui marque le passage de la saison sombre à la saison claire, à l’arrivée de l’été, des récoltes, de l’abondance. Quel meilleur messager de la belle saison que le muguet ?
Mais c’est à Charles IX que nous devons notre coutume d’en offrir. Vers 1560, un premier mai, on en apporte quelques brins au roi qui tombe lui aussi sous le charme du muguet. Il décide d’en faire hommage aux dames de la cour et déclare :
“Qu’il en soit ainsi chaque année.”
Charles IX serait donc à l’origine de notre tradition bien française, celle de la chance partagée, du muguet porte-bonheur, fragile fleurette élue par un roi.
Une tradition qui perdure, même sous la Révolution ! Le muguet est associé au jour républicain du 7 Floréal (26 avril) dans le calendrier de Fabre d’Eglantine.
Au XIXème siècle, retour au calendrier grégorien.

Quand la fusion du premier mai au muguet et de la fête des travailleurs va-t-elle avoir lieu, et comment ?
Le premier mai 1886, sous la pression des syndicats, 200 000 ouvriers américains obtiennent que leur journée de travail soit limitée à 8 heures. Malgré la répression, leur exemple va faire école. La première journée internationale des travailleurs date de 1889. Les ouvriers arborent alors, et pendant de nombreuses années, une églantine rouge qui rappelle les émeutes et le sang versé pour le progrès social.
Par ailleurs, à partir de 1909 à Rambouillet et de 1922 à Compiègne se créent de très conviviales “Fêtes du Muguet” plébiscitées par le public : fanfare, défilé de chars, élection d’une “Reine du Muguet”, bal et feu d’artifice, le succès populaire est tel que dès 1912, des trains spécialement affrétés y conduisent plus de 10 000 Parisiens ! Le Petit Journal organise des concours de bouquets et même, en 1925, un “défilé du muguet” dans les rues de Paris. Et tous de courir “au muguet” dans les forêts de Rambouillet et de Compiègne où la “cueillette à caractère familial” est autorisée depuis 1911. La région nantaise, où est produite la quasi-intégralité du muguet des fleuristes, va promouvoir elle aussi des fêtes autour de la fleur dont elle fait commerce avec succès puisque le premier mai, tous sont autorisés à la vendre.

Pourtant un jour, les travailleurs et le muguet vont se rencontrer. Ce jour arrive en 1941. Eh oui. Le muguet est alors officiellement associé à la “Fête du Travail et de la Concorde sociale” du régime de Vichy, qui décide de remplacer l’églantine trop rouge des ouvriers par le très populaire muguet… et le tour est joué. Aujourd’hui, pas d’antagonisme entre drapeau rouge et muguet dans les rues du premier mai !

Avec la fin de la guerre et le retour d’une certaine prospérité, le muguet va régner sur d’autres défilés, et sur la parfumerie !
La délicieuse fraîcheur de sa fragrance inspire presque tous les grands “nez” à partir des années cinquante, de Molinard à Cartier, Fragonard, Guerlain qui l’introduisent aujourd’hui dans les eaux de toilette pour homme ! Du reste, au siècle classique, un “muguet” désignait bel et bien, par allusion au parfum, un jeune homme affecté faisant parade de sa mise, bref, un dandy avant l’heure.

Mais celui qui a fait du muguet sa fleur fétiche, celui qui, à l’instar de Charles IX, en offrait à toutes ses “petites mains”, celui qui a réussi à mettre en flacon tout le raffinement ingénu du muguet des sous-bois, celui qui le faisait cultiver en serre pour pouvoir toute l’année en arborer un brin à sa boutonnière, celui qui en faisait coudre dans l’ourlet des robes qu’il créait, c’est Christian Dior ! Respirez Diorissimo, parfum créé en 1956, fermez les yeux et enivrez-vous !
La robe emblématique de la collection Dior printemps-été 1957 s’appelle la “robe-muguet”.

À la même époque, le muguet a sa chanson, écrite en 1959 par Francis Lemarque qui en emprunte la musique à une mélodie russe :
“Il est revenu le temps du muguet
 comme un vieil ami retrouvé …”
Toujours dans les années cinquante, la reine Élisabeth d’Angleterre, dont c’était la fleur préférée, l’avait choisie pour son bouquet de mariée.

Voilà comment les têtes couronnées de France et d’Angleterre, Fabre d’Eglantine, le peuple de Paris et de Nantes, les défilés du premier mai et ceux de Christian Dior se retrouvent idéalement, dans les forêts d’Île de France ou d’ailleurs, autour d’une aimable fleurette ayant pour écrin une paire de feuilles symétriques, comme deux ailes sur lesquelles s’envolent les notes exquises d’un inoubliable parfum.

Colette, allant de bonne heure en promenade à Rambouillet, croisait parfois  “une vieille chasseresse de tous les produits de la forêt” dont elle nous livre le portrait de cueilleuse émérite :
“Elle partait “au muguet” avant le jour, et entendait n’être pas suivie. Elle rentrait à l’heure où la forêt devient bleue. Son long pas de femme âgée et robuste balançait autour d’elle les bottes de muguet pendues, tête en bas, vingt, trente, cinquante bottes, chacune au bout d’un lasso de ficelle comme un gibier braconné. Elle s’allégeait en les vendant sur son chemin…” (Pour un herbier)

Texte de Nicole Allegra